Dans les numéros antérieurs de muzeodrome, j’ai plusieurs fois évoqué l’infolettre Absolument Tout. Avec son rédacteur Martin Lafrechoux nous partageons plusieurs points communs dont l’intérêt pour les histoires singulières et les anciennes machines.
Bonjour Martin, peux-tu nous préciser d’où tu viens et quel est ton parcours ?
Ouh là ! J’ai beaucoup bougé mais pour résumer je dirais que je viens d’Internet. L’an prochain ça fera 30 ans que j’ai une connexion chez moi. À part ça j’ai des diplômes en histoire, en journalisme et en traitement automatisé du langage, et je gagne principalement ma vie comme traducteur. Je donne aussi quelques cours depuis l’an dernier, notamment sur les IA génératives.
Peux-tu nous parler de ton infolettre “Absolument Tout” et de ton zine “Kimchi Overdose” ?
J’ai lancé Absolument Tout début 2020, avec un projet très simple : raconter chaque semaine trois trucs qui m’intéressent — anecdote historique, artiste que j’aime, machines bizarres, etc. Les livraisons se sont un peu espacées au fil des ans, mais la formule n’a guère changé.
Mon fanzine est assez éclectique, lui aussi ! Je traite chaque fois un sujet anodin (AliExpress, les films adaptés de Brett Easton Ellis, le confort domestique, les tags à Berlin, Top Chef…) avec un regard que j’espère critique, sensible et drôle, en profitant au maximum de la liberté offerte par le papier.
Tu as aussi un rapport particulier avec les vieux appareils numériques considérés comme obsolètes, peux-tu nous en dire plus ?
J’adore les ordinateurs, mais depuis longtemps ma préférence va aux outils monotâches et autonomes, qu’il faut apprivoiser et qui contraignent la pratique — comme une machine à écrire ou un lecteur MiniDisc. Il faut souvent les réparer et les modifier pour s’en servir aujourd’hui parce qu’ils ne sont plus adaptés à un monde où tout doit être connecté. Ce “retrofitting” permet d’amener des objets obsolètes vers le présent pour créer des outils originaux et personnels, qui conservent les affordances anciennes mais peuvent s’insérer dans le contexte actuel.
Penses-tu qu’il soit possible d’utiliser des appareils “retrofittés” comme dispositifs de médiation dans les musées ?
Oui ! Je pense que la matérialité de leurs interfaces s’y prêterait particulièrement. Le plaisir d’appuyer sur un gros bouton ou de tourner un potentiomètre est universel. Je pense surtout qu’ils y seraient plus à leur place que les bornes à écran tactile qui fleurissent partout. La promesse de l’écran tactile c’est l’interactivité, mais on sous-estime l’expertise et le budget nécessaires pour développer de bonnes interfaces numériques. Pire, alors que la scénographie des musées apporte une grande attention à l’éclairage, la luminosité d’un écran attire le regard, au lieu de le guider vers ce qui est exposé.
A ce sujet, aurais-tu des idées à proposer ?
J’ai plein d’idées ! Des téléphones et postes de radios vintage utilisés comme audioguides situés, des minitels comme bornes d’information, de vieilles liseuses pour découvrir le catalogue pendant qu’on visite, de petites visionneuses 3D type Viewmaster pour s’approcher des œuvres trop fragiles, des appareils photos instantanés pour que chacun puisse documenter sa visite et en rapporter quelque chose, une machine à écrire pour livre d’or…
Globalement je pense qu’on ajouterait quelque chose à l’expérience des visiteurs et visiteuses en leur proposant de la matérialité, au lieu de tout réduire à une expérience médiée par un écran.
{ Entretien publiĂ© dans le n°158 de l’infolettre Muzeodrome - le 10 dĂ©cembre 2025 }