Le quasi-autodidacte Roland Moreno (1945-2012) n’avait conçu que des objets “inutiles” (voir la première notule de ce numéro) avant de cheminer vers ce qui allait devenir sa grande invention : la carte à puce.

Fin janvier 1974, en lisant la revue Électronique-Hebdo, il découvre l’existence des PROM (Programmable Read Only Memory), des mémoires électroniques qui ont la propriété de ne pouvoir être programmées qu’une seule fois et qui conservent l’information enregistrée sans apport d’énergie. Dans son sommeil ou en fumant un joint, il a alors l’idée d’une “Bague Bancaire” (BB) qui serait une clé d’identification pour ouvrir la porte d’un coffre informatique.

”Étant donné les propriétés des semi-conducteurs, ma clef sera rigoureusement incopiable, inforgeable, insusceptible de reproduction. En outre, avec sa PROM montée sur un anneau (bague ou chevalière), le porteur est sûr d’avoir toujours sa mémoire sur lui, sur son corps même, quelles que soient les circonstances y compris baignade, douche, etc.”
Extrait de
Carte à puce, l’histoire secrète” (2002) de Roland Moreno

Pour son prototype, l’inventeur-bricoleur colle la mémoire programmée de la PROM contenant un code sur une chevalière. Début mars 1974, il présente devant une vingtaine de “banquiers” sa “bague électronique“ avec son imposant dispositif de lecture (qui était la partie la plus complexe du dispositif). Lors de cette présentation, les “banquiers” sont enthousiastes. Toutefois l’un deux émet la remarque que le choix d’une bague comme clé électronique fait trop science-fiction. Ainsi la “Bague Bancaire” restera un prototype et l’invention de Moreno ira s’implanter dans un autre support : une carte en plastique au format “standard”.

Avant la réalisation de ce prototype, Roland Moreno avait bien lu quelques textes de science-fiction, mais peu d’ouvrages du genre étaient à son goût. On peut encore lire que l’idée de la bague lui serait venue du roman de science-fiction La nuit des temps (1968) de René Barjavel. Moreno l’avait vertement démenti en indiquant que si son inspiration venait de la science-fiction, elle aurait été induite par un autre roman : Croisière sans escale (1958 - titre original : Non-Stop) de l’écrivain britannique Brian Aldiss (1925-2017). Dans son démenti, Moreno précisait :

Qu’”Un des principaux personnages portait au doigt une bizarre bague, grâce à laquelle il pouvait desceller certains points de certaines cloisons, pénétrant ainsi à volonté dans tels et tels lieux connus comme inaccessibles. Bref, sa bague faisait clef…”

Dans un strip en deux cases, publié en juin 2023 par le NewScientist, le cartooniste britannique Tom Gauld montrait formidablement bien comment des objets peuvent passer de la science fiction à une réalité technique :

  • Dans la première case - un écrivain de science-fiction présente sa dernière production à son éditrice : “Mon roman est un récit édifiant sur le capitalisme et les conséquences de créations technologiques puissantes sans tenir compte de leurs implications morales.“

  • Dans la seconde case - un dirigeant d’une entreprise de la tech tient dans la main le roman de l’écrivain de science-fiction et clame à ses employés : “Hé les mecs ! Ce roman est trop cool ! Construisons certains des trucs qu’il présente !

En 2020, l’auteur français de science fiction Alain Damasio reprenait l’idée d’une bague d’identification dans son roman “Les Furtifs”.

”Dans la France de 2040, la surveillance est totale, les riches écrasent davantage les pauvres et les grandes villes sont privatisées : Paris par LVMH, Cannes par Warner et Orange par Orange. Chaque Français porte une bague où sont numérisées toutes ses données personnelles.”
Extrait du résumé du roman “Les Furtifs“ par Jérôme Garcin pour France Inter.

la bague de Damasio sera-t-elle une source d’inspiration pour un·e dirigeant·e d’une entreprise de la tech ? Les pronostics sont lancés…


{ Article publié dans le n°147 de l’infolettre Muzeodrome - le 2 juillet 2024 }