// Entretien avec Kevin Guive Echraghi & Antoine Mestrallet //

Bureau des MĂ©thodes

En septembre 2022, dans le numĂ©ro 115 de l’infolettre, j’avais questionnĂ© Kevin Guive Echraghi & Antoine Mestrallet sur l’organisation dont ils sont Ă  l’origine : HĂ©rĂ©tique . “Une organisation qui Ɠuvre pour penser, crĂ©er et transmettre un numĂ©rique alternatif Ă  la doxa dĂ©fendue par les gĂ©ants de la Silicon Valley”. Un peu plus d’un an plus tard, j’ai souhaitĂ© les questionner Ă  nouveau, cette-fois sur le Bureau des MĂ©thodes, un trĂšs beau projet au long cours lancĂ© en septembre 2023.

Bonjour Kevin & Antoine - Qu’est-ce que le Bureau des MĂ©thodes ?

Le Bureau des Méthodes (BdM) est un dispositif de diffusion de protocoles artistiques réalisé en co-production avec la Maison des métallos.

Il s’incarne dans une expĂ©rience numĂ©rique duale : un bot sur l’application Telegram et un site web. Toutes les deux semaines, les participants reçoivent un nouveau protocole, choisi parmi les crĂ©ations existantes d’artistes ou crĂ©Ă©s pour l’occasion par les artistes rĂ©sidents des MĂ©tallos. Une conversation de groupe dĂ©diĂ©e au protocole est crĂ©Ă©e, dans laquelle chaque membre partage sa rĂ©alisation et ses impressions. Sur le site web, les plus curieux peuvent se plonger dans une bibliothĂšque grandissante de protocoles.

Qui est Ă  l’origine du projet ?

Le BdM trouve ses racines dans le Hub mĂ©tallos, un projet de rĂ©seau social pour institutions culturelles imaginĂ© par StĂ©phanie Aubin. À partir de ces premiĂšres intuitions nous avons, Ă  la demande des MĂ©tallos, conceptualisĂ©, prototypĂ© et dĂ©veloppĂ© le dispositif actuel.

D’oĂč vient le nom Bureau des mĂ©thodes ?

À l’origine, le bureau des méthodes est issu du taylorisme. Il a pour fonction de définir les méthodes de travail optimales pour augmenter la productivitĂ©, en rĂ©digeant des protocoles qui prĂ©cisent les gestes et temps dĂ©diĂ©s Ă  chaque tĂąche. À rebours, le Bureau des MĂ©thodes des MĂ©tallos est une invitation à la désoptimisation en proposant d’autres formes de protocoles, pensés pour sortir de la reproduction mécanique des pensĂ©es et des gestes et du quotidien.

Beaucoup de processus artistiques sont sobres dans leur Ă©criture. Ceux choisis par le Bureau des MĂ©thodes tiennent sur une carte. Cette forme artistique entre bien en Ă©cho avec votre vision des numĂ©riques…

En effet, ce dispositif rentre en Ă©cho sur le fond et sur la forme avec notre vision du numĂ©rique. Des numĂ©riques lĂ©gers dans tous les sens du terme : sobres, dĂ©licats, vecteurs de sensations et d’émotions. Sujets Ă  interprĂ©tation et Ă  contribution. Des numĂ©riques qui invitent vers le rĂ©el plutĂŽt que de s’y substituer. Des numĂ©riques collectifs aussi : les contributions sont ouvertes, tout artiste peut proposer des protocoles, et le code est open-source.

Quels sont les premiÚres réactions et interactions depuis le lancement du projet ?

Le BdM est en cours d’appropriation par les usagers, les artistes et les MĂ©tallos. Il y a encore peu de contributions, mais cela n’est que le dĂ©but et les premiĂšres rĂ©actions sont positives. C’est un projet au long cours, pour lequel nous valorisons davantage les liens crĂ©Ă©s avec les usagers que le simple volume de participation Ă  court-terme.

Les protocoles peuvent ĂȘtre vus comme de courts programmes pour les humains (avec une suite d’instructions Ă  suivre). Aujourd’hui c’est aussi souvent ainsi que des ĂȘtres humains “commandent” les IA gĂ©nĂ©ratives. Que pensez-vous de ce parallĂ©lisme ?

C’est effectivement un parallĂ©lisme intĂ©ressant mĂȘme si les diffĂ©rences sont nombreuses. La plus saillante est probablement une diffĂ©rence d’intention. En utilisant les IA gĂ©nĂ©ratives, les commanditaires sont souvent dans une posture de production, oĂč l’objectif rĂ©side dans l’obtention d’un rĂ©sultat, d’une image, d’un son, d’un texte. Les protocoles artistiques, eux, s’intĂ©ressent au processus de crĂ©ation en lui-mĂȘme, dĂ©sirant mettre l’usager en posture active, l’invitant Ă  expĂ©rimenter et Ă  s’essayer Ă  l’acte crĂ©atif plutĂŽt qu’à valoriser uniquement la production. Une perspective qui peut d’ailleurs Ă©clairer les questions relatives Ă  l’utilisation des IA, oĂč lĂ  aussi c’est le processus crĂ©atif en lui-mĂȘme qui devrait ĂȘtre questionnĂ©. Quel plaisir de faire ? Quelle subjectivité ? Quelles compĂ©tences investies ou dĂ©lĂ©guĂ©es ? Quelle place pour l’accident crĂ©atif ?

Avez-vous d’autres projets Ă  venir du cĂŽtĂ© d’hĂ©rĂ©tique ?

Nous avons toujours beaucoup de projets dans nos cartons ! Vous pouvez en retrouver un certain nombre ici. Le plus rĂ©cent est la Galerie des Alternatives, qui vise Ă  montrer le foisonnement et la diversitĂ© des initiatives numĂ©riques alternatives. C’est pour l’instant un jeu de cartes pour animer des ateliers, mais c’est un projet racine dont les fruits seront nombreux et variĂ©s.

Si vous déviez chacun choisir un protocole, ce serait lequel ?

Nous aimons beaucoup « Un café pour faire connaissance », un protocole de Naïf Production qui sera programmé mi-décembre. On ne peut pas vous en dire plus avant cette date, alors inscrivez-vous au BdM pour le recevoir !

→ https://bureaudesmethodes.fr


{ Article publiĂ© dans le n°138 de l’infolettre Muzeodrome - le 23 novembre 2023 }