// Entretien avec Laurent Courau //

J’ai croisĂ© la route de Laurent Courau au tournant du second millĂ©naire. Nous Ă©tions tous les deux engagĂ©s dans le Web indĂ©pendant : lui avec La Spirale et moi avec LeWub. En 2001, nous avons collaborĂ© autour du projet porteW - un micro-portail web qui fĂ©dĂ©rait les actualitĂ©s de plusieurs sites culturels indĂ©pendants (voir cet article de LibĂ©ration).

PassionnĂ© par la presse et les mĂ©dias depuis son adolescence, Laurent a rĂ©ussi au fil des expĂ©riences Ă  en faire son mĂ©tier. Par ailleurs, il a toujours cultivĂ© un intĂ©rĂȘt pour ce qui se trame hors des sentiers battus, sur les marges culturelles, dans les laboratoires de recherche et sous d’autres horizons. Aujourd’hui, il est Ă  la fois curateur, auteur de livres, rĂ©alisateur de films documentaires et crĂ©ateur des mĂ©dias.

Bonjour Laurent, tu viens de lancer le magazine en ligne Mutation, pourquoi ?

Actuel utilisait « nouveau et intĂ©ressant » comme slogan. Face Ă  la morositĂ© qui prĂ©domine aujourd’hui, j’ai eu envie de renouer avec cet esprit de dĂ©couverte. De partager cet appĂ©tit pour le prĂ©sent et le futur, pour l’inventivitĂ© bouillonnante du moment
 Mutation est nĂ© de mon envie de partager cet enthousiasme. En dĂ©montrant qu’il ne tient qu’à nous de repenser le XXIe siĂšcle, de reprendre goĂ»t en l’avenir au travers d’initiatives optimistes, novatrices et curieuses. Plus que jamais, il apparaĂźt urgent de dĂ©fricher au-delĂ  des clivages dominants pour dĂ©montrer qu’un autre monde est possible. Pour sortir de l’impasse anxiogĂšne dont semblent dĂ©sormais prisonniers nos imaginaires, tout particuliĂšrement en Europe.

https://mutation-magazine.com/

Pourquoi avoir choisi le web comme type de média ?

En terme de diffusion, le web reste le support le plus versatile, pour dĂ©marrer un nouveau projet de mĂ©dia. Mais ce n’est pas tout. Mutation se dĂ©clinera dans les prochains mois sous la forme d’une revue imprimĂ©e, trimestrielle et thĂ©matique. Nous explorerons l’Afrique du futur, le renouveau de la course Ă  l’espace, les nouvelles formes de rĂ©alitĂ© hybrides, etc.

Les futurs t’inspirent depuis longtemps, quelles sont pour toi les mutations Ă  venir dans les musĂ©es dans un avenir proche ou un peu plus lointain ?

Au-delĂ  de la mise en Ɠuvre de technologies nouvelles, c’est l’« émerveillement » des publics, en tant que chemin de la connaissance, qui me semble constituer l’élĂ©ment clĂ© des musĂ©es du futur.

Ça rejoint ce que je disais plus tĂŽt au sujet de Mutation. Un musĂ©e ou un mĂ©dia se doit d’élargir nos champs de rĂ©alitĂ© pour nous donner envie de nous dĂ©velopper de maniĂšre plus rĂ©jouissante, gĂ©nĂ©reuse et constructive, Ă  un niveau Ă  la fois individuel et collectif.

Imagines-tu que de nouveaux types de musĂ©es pourraient apparaitre sur Terre ou dans l’espace d’ici 100 ans ?

TrĂšs certainement. Il y aura des musĂ©es, que ce soit sur Terre ou dans l’espace tant que notre espĂšce existera. À quoi ressembleront-ils ? Difficile Ă  prĂ©dire. Notre courbe d’évolution est telle qu’il me semble impossible d’imaginer ce Ă  quoi ressemblera l’expĂ©rience de vie humaine dans un siĂšcle. On le note en science-fiction, oĂč les auteurs ont dorĂ©navant du mal Ă  se projeter.

On peut imaginer des « espaces » d’exposition physiques et/ou virtuels qui recrĂ©ent l’expĂ©rience d’une vie terrestre pour nos descendants sur d’autres planĂštes ou embarquĂ©s Ă  bord de stations orbitales ; comme une « machine Ă  remonter le temps » musĂ©ale qui mobilisera nos cinq sens pour reconstituer le passĂ© dans un grand jeu de rĂŽle et une forme de synesthĂ©sie totale.

Mais plus que le virtuel, je crois surtout Ă  la nĂ©cessitĂ© d’un rappel constant du « rĂ©el » et du « sensible ». Et c’est lĂ  que les objets et les Ɠuvres tangibles conserveront une place centrale. L’émotion n’est pas la mĂȘme lorsque l’on se trouve face Ă  un masque dogon ou Ă  sa reproduction numĂ©rique, aussi parfait soit l’hologramme ; d’oĂč l’inĂ©luctabilitĂ© d’une hybridation des contenus.

Une lecture / ressource complémentaire à recommander aux lectrices et lecteurs de Muzeodrome ?

Le livre Divine Horsemen: The Living Gods of Haiti de la rĂ©alisatrice new-yorkaise Maya Deren. Partie en HaĂŻti pour Ă©tudier les danses traditionnelles Ă  la fin des annĂ©es 1940, elle y dĂ©couvre le vaudou. De cette rencontre, elle rĂ©alisera un film documentaire et Ă©crira ce livre majeur au croisement d’un document anthropologique et d’un essai sur la crĂ©ation artistique.


{ Article publiĂ© dans le n°134 de l’infolettre Muzeodrome - le 27 septembre 2023 }