// Entretien avec Guillaume Ducongé //
Les origines des audioguides remontent aux années 1950 (voir Muzeodrome n°105). Environ 50 ans plus tard, en 2002, Guillaume Ducongé fonde la société spécialisée dans les dispositifs de visite mobiles Audiovisit. En avril 2009, Audiovisit publie la première application pour smartphone d’un musée français - celle du musée de Cluny (cette application est peut-être même la première application pour smartphone d’un musée au monde).
Bonjour Guillaume, quand as-tu découvert l’audioguide ?
Adolescent, j’étais allé visiter le monastère royal de Brou (CMN). Une voix grave racontait des histoires du passé sur une belle musique via un triple lecteur de CD. C’était enthousiasmant, mais assez rapidement j’ai trouvé ça épuisant : les commentaires étaient longs et l’appareil trop lourd !
Qu’est-ce qui t’a amené à t’investir dans ce domaine professionnellement ?
Au début des années 2000, nous travaillions dans le tourisme lorsque nous avons vu sortir les premiers lecteurs MP3. C’était plus adapté qu’un audioguide classique ou un Walkman (!) pour visiter une ville. C’est ce qui nous a décidés à nous lancer en 2002. Comme la demande était plus forte dans les musées, et que les lecteurs MP3 étaient trop fragiles, nous sommes rapidement passés de startup disruptive à challenger sur le marché mature de l’audioguide de musées.
Au fil de ses évolutions, l’audioguide est devenu plus multimédia. Il a aussi été encapsulé dans des applications. Chez Audiovisit, vous avez les premiers à réaliser une application pour un musée en 2009. Rétrospectivement, comment vois-tu ces évolutions ?
Même si nous avons été précurseurs, nous nous posons toujours la même question en amont d’un projet : pourquoi le musée et le visiteur se compliqueraient-ils la vie si ce n’est pas pour bénéficier d’une visite réellement augmentée par l’écran ? 15 ans après les premiers visioguides, l’évolution des usages s’avère bien plus lente qu’imaginée, car les utilisateurs d’audioguides sont souvent âgés et ils ont leurs habitudes. Le changement majeur, c’est qu’aujourd’hui il n’y a plus de rejet de principe de ces publics, car ils ont tous un smartphone depuis un certain temps. Ils s’y mettent donc peu à peu. Cette question du passage à l’audioguide multimédia renvoie à un questionnement plus large : est-ce le rôle du musée de promouvoir l’innovation au détriment de pratiques établies et appréciées ?
Les contenus des audioguides pour les musées continuent d’évoluer aussi bien dans leurs formes que dans leurs fonds. Je pense à celui du MAC VAL…
En matière de contenu l’évolution est assez lente, je trouve. Mais c’est aussi parce que nous ne travaillons pas si mal depuis 2 décennies si j’en crois la satisfaction des utilisateurs. Ce qui est nouveau effectivement, c’est que nous poussons les musées à co-construire des audioguides avec des publics, à en faire une action culturelle. Au MAC VAL, le projet a été mené avec des allophones. Avec cette démarche, nous travaillons à la fois dans une logique de médiation interculturelle et de reconnaissance des langues de ces publics, tout en améliorant la maitrise du Français des participants. Une démarche de mise en œuvre des droits culturels dont nous sommes fiers !
Tu as lancé en 2023 un carnet de recherche. Quels sont les objectifs de celui-ci ? Comment ses lectrices et lecteurs peuvent participer à son élaboration ?
Nous avions besoin de trouver un nouveau cadre pour approfondir toutes les recherches menées depuis 20 ans à Audiovisit. Nous venons donc de migrer d’une démarche d’observatoire des publics vers une logique de laboratoire. L’idée est de faire appel à des contributions de chercheurs dans des disciplines variées (muséologie, sciences de la communication, du langage, neurosciences…). Mais il nous arrivera aussi de partager un article sur un thème afin de faire appel à des contributions de professionnels riches d’expériences signifiantes. Tout sera en open content sur https://lab-reve.fr .
Comment vois-tu les évolutions à venir de l’audioguide ?
J’aimerais que l’audioguide ne soit plus cantonné aux politiques d’investissement. On s’équipe et on produit du contenu pour 10 ans. Je rêve que les musées se saisissent du dispositif pour créer des contenus au fil de l’eau, comme ils le font avec les podcasts. Les utilisateurs d’audioguides sont particulièrement captifs pour cela. Dans l’audioguide du futur, on pourrait aussi bien trouver une lecture ou une création sonore qu’un contenu riche de 30 minutes sur une œuvre. Le dispositif ne serait alors plus réservé aux primovisiteurs.
Note : Pour en revenir au titre de cette notule, selon un article de Katie Heaney publié dans The Cut en 2018, nous rêvons très peu de nos smartphones et de nos ordinateurs (article régulièrement cité, récemment par Lauren Boudard au micro de Tech Paf). Et vous rêvez-vous de smartphones, d’ordinateurs ou d’audioguides?
{ Entretien publié dans le n°128 de l’infolettre Muzeodrome - le 28 juin 2023 }