/ Entretien avec Jean-Louis Fréchin /

Il existe de nombreux musées de la bicyclette dans le monde. Par exemple celui situé dans le château de Bosc (Domazan, Gard, France) qui présente dans ses collections une draisienne zoomorphe du début du XIX siècle classée Monument historique**.**

Mais qu’en est-il du vĂ©lo d’aujourd’hui ? Pour rĂ©pondre Ă  cette question, j’ai questionnĂ© le designer Jean-Louis FrĂ©chin qui a assurĂ© le commissariat de Bicyclette(s), faire des vĂ©los, expo-Ă©vĂ©nement sur le renouveau du cycle en Europe prĂ©sentĂ©e Ă  la CitĂ© du design de Saint-Étienne du 8 novembre 2022 au 1er mai 2023.

Jean-Louis Fréchin a été un des pionniers du CD-ROM culturel en France. En 2001, il a créé NoDesign, une des premières agences de design numérique. Nous sommes tous les deux intervenus en 2013 sur un projet porté par Anabole « vu du RER C**»** - une application transmédia et urbaine qui superposait deux visions du territoire traversé par le RER C : le présent et le passé. Mais revenons aux bicyclettes…

Que montre l’exposition Bicyclette(s), faire des vĂ©los ?
Quelle est son ambition ?
 

Le vélocipède, qui a été inventé en Europe, est la première machine qui a permis aux humains de se déplacer plus rapidement.

Au fil des années, il est devenu un élément important de notre culture, tant pour ses utilisations pratiques que pour son empreinte culturelle. Il a été déclassé comme objet de mobilité à partir des années 1950 par l’automobile et s’est replié vers les loisirs et le sport.

Dans les années 1970, l’industrie française du vélo a été confrontée à une forte concurrence avec le mountain bike américain, l’industrie taïwanaise et l’innovation des Japonais de Shimano. Elle a également été impactée par la concurrence des grandes surfaces et le coût du travail, ce qui a conduit à la disparition de l’industrie française, autrefois championne du monde.

Aujourd’hui, Taiwan est à la tête de l’innovation dans le domaine du vélo. On assiste à un renouveau en Europe où des mesures antidumping ont été prises en 1993 et en 2013 pour protéger ce qui restait de l’industrie. Ainsi, les Hollandais de VanMoof réinventent le vélo urbain, l’Allemagne l’électrifie, tandis que l’Italie est l’un des rares pays à avoir conservé une histoire, un présent et un futur dans la production de vélos de qualité. On assiste à un renouveau en termes de pratique, de culture et d’industrie en Europe, mais également en France.

Peut-on consommer sans fabriquer ? L’exposition Bicyclette(s),  Faire des vélos vise à montrer un éventail de produits pour la ville, les voyages, le sport et les démarches d’innovation et de création en Europe grâce aux propositions d’entreprises comme Décathlon, Cycleurope, 12 Cycles ou Moustache qui relancent l’innovation et la culture du vélo en proposant des produits de qualité, originaux et durables, certains étant totalement produits en France comme ceux d’Ultima Mobility, des Cycles Victoire ou de Cyfac.

Il y a 100 ans, dans les annĂ©es 1920, Saint-Étienne Ă©tait la capitale française, voir mĂŞme europĂ©enne, de la petite reine. En complĂ©ment Ă  l’exposition Ă  la CitĂ© de Design ne manque t-il pas une autre exposition sur plus d’un siècle d’innovations dans le domaine vĂ©lo ?      

Pouvions-nous faire une exposition sur le renouveau de l’industrie et de la pratique du vĂ©lo ailleurs qu’à Saint-Étienne ? Nous avons donc construit avec le MusĂ©e d’Art et d’Industrie, qui est un musĂ©e exceptionnel avec une collection de vĂ©los d’arme et de mĂ©tier Ă  tisser les rubans unique au monde, un chapitre sur le cycle stĂ©phanois. L’incontournable Paul de Vivie, dit “Velocio”, entrepreneur, inventeur du dĂ©railleur et du cyclotourisme, mais Ă©galement premier thĂ©oricien de la bicyclette comme vecteur d’émancipation. Nous exposons des vĂ©los de “SaintĂ©” qui ont marquĂ© leur temps, comme le Mercier Rose que Poulidor a offert Ă  HervĂ© Revelli, footballeurs de l’épopĂ©e des verts, les rĂ©volutionnaires Vitus en aluminium ou carbone collĂ© et les Ă©tonnants Mecacycle de Raymond Crozet. 

Cette expo sur le renouveau de la fabrication et de l’innovation en Europe aurait pu bien sûr s’attacher aux archives et brevets de toutes les inventions qui ont parcouru la bicyclette, comme celles proposées dans chaque  catalogue Manufrance.

Mais plutĂ´t qu’une expo sur un passĂ© glorieux et douloureux nous avons prĂ©fĂ©rĂ© un prĂ©sent et un futur radieux. Un espace l’“Atelier” montre les secrets de fabrication des jantes en Alu Mavic, des roues carbone Corima. Des Ă©clatĂ©s relèvent les secrets du Carbone d’un vĂ©lo Look ou la complexitĂ© de production d’un vĂ©lo Ă©lectrique en acier Heritage Bike et de beaucoup autres composants indispensables.

Il est vrai que nous aimons le patrimoine en France, nous sommes moins Ă  l’aise avec le futur, la crĂ©ation, l’industrie et la fabrication de produits. Aussi, nous avons dĂ©cidĂ© de concevoir cette expo sous-titrĂ©e “faire des vĂ©los” comme objet Ă©ducatif et politique pour crĂ©er des vocations et valoriser les crĂ©ateurs qui font perdurer ou rĂ©inventer un savoir-faire avec les conditions contemporaines. Ă€ l’exemple des cycles Victoire qui est Ă  l’initiative de la rĂ©crĂ©ation du “concours de machines” qui symbolisait le progrès dans les annĂ©es 30. Le patrimoine n’est jamais loin.

Tu es l’auteur de l’ouvrage Le Design des choses Ă  l’heure du numĂ©rique (2019). Peux-tu nous indiquer ce que les dĂ©veloppements numĂ©riques les plus rĂ©cents apportent Ă  la conception / fabrication / utilisation des bicyclettes ?

Ce livre est surtout un manifeste de la nĂ©cessitĂ© du design dans un monde dont les moteurs technologiques sont totalement bouleversĂ©s. Le numĂ©rique est omniprĂ©sent dans les vĂ©los contemporains, d’abord dans l’espace de conception avec la CAO, l’adaptation au corps, les composants en impression 3D mĂ©tal, les motorisations adaptatives. C’est ce que nous avons voulu illustrer chez NoDesign.net avec le vĂ©lo que nous avons conçu pour l’exposition “Batspad, En Route”, qui est une pure occurrence d’un processus totalement numĂ©risĂ©.

Ensuite, le numĂ©rique serviciel permet d’opĂ©rer, de maintenir et de protĂ©ger les bicyclettes modernes, vĂ©ritable objet connectĂ©s, qui permettent d’opĂ©rer le vĂ©lo, de piloter le dĂ©railleur et les changements de vitesses, ou de les traquer en cas de vol ou de gĂ©rer usage et la batterie pour les vĂ©los Ă©lectriques, comme le Cow-Boy, Van Moof ou Iweech,

Ensuite, en sport ou cyclotourisme, des applications permettent le suivi de performance et d’effort. Elles permettent aux utilisateurs de suivre et de partager leurs activitĂ©s sportives en utilisant leur smartphone et affichent les donnĂ©es de l’activitĂ© (distance, vitesse, calories brĂ»lĂ©es, dĂ©nivelĂ©s). Elles offrent Ă©galement des fonctionnalitĂ©s sociales et une carte interactive affichant les parcours populaires, les points d’intĂ©rĂŞt pour les sportifs et les rois de la montagne sur des segments populaires. Nous avons, pour illustrer cela, conçu un simulateur de grimpe spĂ©cifiquement pour l’expo. Il permet de se mesurer Ă  deux sur le dernier kilomètre du col de la rĂ©publique, dite montĂ©e Velocio. C’est assez sportif !

Parmi les 70 bicyclettes que prĂ©sente dans l’exposition, si tu devais n’en garder qu’une pour ton usage personnel - ce serait laquelle et pourquoi ?

Comme designer, j’aime d’abord les machines et les processus qui leur permettent d’exister, mais ce sont surtout les cadreurs, concepteurs, ingĂ©nieurs ou designers qui les font que je prĂ©fère avant tout. C’est pourquoi, il y a plus de 25 portraits d’inventeur de vĂ©lo dans l’exposition. En tant que commissaire, les bicyclettes qui sont prĂ©sentes ont toutes quelque chose Ă  nous dire et un intĂ©rĂŞt technique, esthĂ©tique, productif ou historique. Je dirais que mon vĂ©lo prĂ©fĂ©rĂ© est celui qui vous donnera envie de faire ou refaire du vĂ©lo.


{ Entretien publiĂ© dans le n°121 de l’infolettre Muzeodrome - le 4 janvier 2023 }