/ Entretien avec Laurence Allard + Alexandre Monnin + Nicolas Nova /

PubliĂ© en mai 2022 par les Éditions Le Bord de l’eau, l’ouvrage Ecologies du smartphone “cherche à dépasser un positivisme technologique béat et un pessimisme techno-critique simpliste”. L’ouvrage est dirigĂ© par une chercheuse et deux chercheurs dont je suis avec intĂ©rĂȘt les travaux depuis au moins une dizaine d’annĂ©e : Laurence Allard (@), Alexandre Monnin (@) et Nicolas Nova (@). J’ai souhaitĂ© leur poser par mail trois questions sur cet ouvrage.

Pouvez-vous nous parler de votre ouvrage “Écologies du smartphone” ? A quels enjeux celui-ci rĂ©pond-t-il ?

Cet ouvrage, que nous avons coordonnĂ©, est un livre-enquĂȘte multi-auteur·ices associant chercheur·euses, associatifs, artistes, designer·euses, au sujet de la face sombre des smartphones, leur « ombre « écologique ». Il ambitionne de conceptualiser et documenter ce que le smartphone occasionne en termes d’exploitation de vies humaines, d’extraction de ressources et d’accumulation de dĂ©chets mais Ă©galement de visibiliser les expĂ©rimentations de rĂ©paration, re-crĂ©ation et de mobilisation en matiĂšre d’écologies du smartphone. A rebours des paradigmes de la transition, du dĂ©veloppement durable ou du numĂ©rique responsable, l’approche d’ensemble est rĂ©solument dĂ©coloniale et orientĂ©e vers l’éco-justice multispĂ©cifique, tant le cycle bio-gĂ©o-physico-politique du smartphone -de la phase extractive Ă  la phase de mise au rebut - renvoie Ă  des logiques nĂ©o-coloniales. Les initiatives et mobilisations dĂ©crites dans cet ouvrage manifestent une dĂ©marche de dĂ©colonialitĂ© et d’écologisation de l’économie des usages du smartphone, objet numĂ©rique le plus critique au plan de l’empreinte environnementale comme le dĂ©montre l’ouvrage.

Comment ces enjeux pourraient ĂȘtre prĂ©sentĂ©s dans le cadre d’une exposition ?

Les enjeux Ă©cologiques du smartphone articulent plusieurs disciplines scientifiques, des connaissances et des savoir-faire multiples. L’ouvrage Ecologies du smartphone rassemble ainsi des chercheur·es en physique, philosophie, sociologie aux cĂŽtĂ©s de juristes, activistes ou architectes. En plus de faire Ɠuvre de pĂ©dagogie sur les donnĂ©es gĂ©o-bio-physiques au sujet des ressources ou des dĂ©chets, il s’agit Ă©galement de s’interroger conceptuellement sur les mondes du numĂ©rique ou encore dĂ©crire empiriquement les possibles de l’écologisation des pratiques du smartphone. Faire Ɠuvre de mĂ©diation autour de ces enjeux participe donc plus gĂ©nĂ©ralement de programmes d’éco-mĂ©diation que les lieux culturels peuvent contribuer Ă  mettre en forme. Ateliers, expositions, fresques, dĂ©bats
 tout reste Ă  inventer dans cette perspective d’une mĂ©diation des enjeux Ă©cologiques du numĂ©rique et du smartphone en particulier.

Que pensez-vous de la démarche BYOD (en français « prenez vos appareils personnels ») mise en place par les musées et les institutions culturelles ?

Il est vrai que c’est sans doute utile Ă  certaine·s, mais c’est restrictif pour une partie des publics des musĂ©es. La tendance QR Code et applications Ă  tout faire
 relĂšve d’une dĂ©marche qui peut, dans une certaine mesure, ĂȘtre assimilĂ©e Ă  un type de techno-solutionnisme paresseux avec des risques d’exclusion de certains publics. Une technologie de communication comme le smartphone ne constituera rarement un dispositif de mĂ©diation en soi. En revanche, il existe une scĂšne de crĂ©ation par les outils mobiles et plus gĂ©nĂ©ralement une culture mobile qui se trouve assez peu « exposĂ©e ».


{ Entretien publiĂ© dans le n°112 de l’infolettre Muzeodrome - le 21 juin 2022 }